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Grèce

«C’est comme si ces gens n’existaient pas...»

Témoignages 
Eleni Kotsoni - Responsable des activités de santé mentale
Responsable des activités de santé mentale depuis 4 mois, Eleni Kotsoni raconte sa première expérience avec MSF, auprès des réfugiés dans son pays, la Grèce.

    La première fois que je suis entrée dans un camp de réfugiés à Athènes, il y a quatre mois, je  m’attendais à entendre des histoires tragiques, de violence, de conflit. Ça a été le cas, mais j’ai été aussi surprise d’entendre des histoires de famille, des problèmes de couple, comme on pourrait tous en avoir. Au début, lorsque nous avons commencé à proposer consultations psychologiques, les gens avaient besoin d’établir une relation de confiance avec nous et nous exposaient des problèmes du quotidien. Puis ils se sont ouverts et les histoires qu’ils nous ont confiées sont devenues de plus en plus dures. En parallèle, au fur et à mesure, la situation empirait dans les camps.

    Outre les conditions de vie déplorables dans certains camps, comme à Elliniko en banlieue d’Athènes, c’est l’incertitude qui mine les gens. Ils ne savent pas ce qu’ils vont devenir à court, moyen, ou long terme. Certains sont ici depuis des mois, mais ont perdu toute notion du temps et une grande partie de leur identité.

    Cette absence de repères est très difficile à gérer. Malgré les activités mises en place par les ONG, les gens ne savent pas si leurs enfants vont aller à l’école en septembre, s’ils vont rester ici ou être transférés dans un autre camp. On ne leur donne aucune information, ce qui a un impact important sur leur santé mentale. Mes collègues psychologues entendent parfois : «Je pourrais vivre dans ce camp et endurer ces conditions de vie pendant deux ans si je savais qu’après, j’aurais une chance d’aller vers un autre pays d’Europe».

    Après l’euphorie de l’arrivée en Europe, les gens ont commencé à réaliser qu’ils étaient piégés ici, sans perspective d’avenir. On a vu des femmes enceintes qui ne voulaient plus de leur enfant. On a aussi noté une augmentation des violences familiales ou des pensées suicidaires.

    Les gens croient que notre pays n’est pas en guerre, qu’on n’est pas aussi menacés que les Syriens.

    Aujourd’hui, nos équipes sont très inquiètes, car on nous remonte des cas de violences sexuelles, des cas de prostitution notamment chez les jeunes hommes… Les tensions augmentent aussi entre les communautés. Les réfugiés Afghans nous disent qu’ils se sentent comme des réfugiés de 2e ou 3e catégorie : «Les gens croient que notre pays n’est pas en guerre, qu’on n’est pas aussi menacés que les Syriens».

    J’habite très près du camp d’Elliniko qui se trouve en plein milieu d’une banlieue résidentielle, en Grèce. Ce site, composé d’un terminal d’aéroport désaffecté et de deux stades olympiques abandonnés, est comme une bulle invisible. Avant de travailler pour MSF, je passais souvent devant, je savais qu’il y avait des réfugiés là mais je ne pouvais pas imaginer ce qui se passe à l’intérieur : le nombre de gens ici, leurs conditions de vie, l’étendue de leurs problèmes.

    Lorsque j’explique ce que je vois à mes amis, ils sont très étonnés. C’est comme si ces gens n’existaient pas… Alors que justement ils ont besoin d’exister et d’être reconnus comme des personnes à part entière avec des identités et des histoires de vie particulières. Leur identité semble être réduite à une dimension unique, celle de réfugié et rien d’autre. Ils se sentent négligés et ont un besoin de connexion et d’ouverture de la part de la communauté qui les entoure.