Sud de Gaza. Des personnes à la recherche de nourriture ou d'eau. © MSF
Actualité

« Gaza est une situation d'urgence comme je n'en ai jamais vue », témoigne un médecin MSF

Le lundi 12 février 2024

En 1 clic, aidez-nous à diffuser cette information :

Dr Edward Chu faisait partie d'une équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) qui s'est rendue à Gaza en décembre 2023 pour apporter un soutien médical d'urgence à nos collègues palestiniens et internationaux. Ces derniers continuent de voir affluer des patients souffrant de blessures graves dans un contexte de pénurie extrême et de bombardements incessants. À son retour, il a partagé un compte-rendu de cette catastrophe humanitaire qui continue de s'aggraver:

La vie de Maryam* a complètement changé à l'âge de 11 ans. Une bombe lui a fait perdre ses deux jambes, l'une juste en dessous de la hanche et l'autre au niveau du genou. Elle était déjà inconsolable lorsqu'elle est arrivée à l'hôpital de campagne indonésien de Rafah avec sa mère et ses deux sœurs, elles aussi amputées.

Elles font partie des 66 000 Palestiniens de Gaza qui ont été blessés dans la guerre avec Israël à ce jour, et dont beaucoup sont confrontés à la triste réalité de ce qui devrait être la convalescence après la sortie de l'hôpital : le retour sous une tente improvisée dans le froid et la pluie de l'hiver, où leurs blessures risquent de s'infecter et où les chances d'obtenir les opérations nécessaires de reconstruction supplémentaires sont très minces.

La clinique de MSF à l'intérieur de l'hôpital indonésien de Rafah, le 28 décembre 2023. Palestine 2023 © MSF

Ma mission à Gaza

Je me suis rendu à Gaza en décembre avec une équipe de MSF. Notre objectif était double : soutenir le service des urgences et le bloc opératoire de l'hôpital Nasser**, où nous pratiquons des interventions telles que la chirurgie plastique reconstructrice et les greffes de peau, et trouver un endroit plus éloigné de la ligne de front où nous pourrions travailler en sécurité. 

Il était déjà clair que nous n'allions probablement pas pouvoir rester à l'hôpital Nasser plus longtemps.

Le chirurgien plasticien de notre équipe n'a pu travailler que deux jours sur place avant que l'armée israélienne ne prévienne qu'elle allait commencer à bombarder la zone adjacente. Notre équipe a dû être évacuée à Noël, bien que des collègues palestiniens aient choisi de continuer à soigner les malades et les blessés. Après cela, nous nous sommes concentrés sur la mise en place de l'hôpital de campagne indonésien de Rafah et sur la préparation de notre personnel avec des kits de traumatologie.

Le risque élevé de bombardements ou de tirs croisés signifiait qu'il était essentiel que l'ensemble de notre personnel, comme les chauffeurs et les autres membres du personnel non médical, connaisse certaines compétences de base en matière de sauvetage, comme l'application de pansements compressifs sur les plaies et l'utilisation de garrots.

Le Dr Chu dispense une formation sur l'intervention en cas d'accident de masse à Lviv, en Ukraine, le 14 mars 2022. Ukraine 2022 © Peter Bräunig/MSF

Ce qui fait la spécificité de Gaza

J'ai déjà travaillé avec MSF dans des zones de conflit. J'ai travaillé en République centrafricaine et en République démocratique du Congo ; j'ai travaillé en Ukraine en mars 2022, juste après que la Russie ait intensifié son invasion. Mais ce qui se passe à Gaza est une urgence humanitaire comme je n'en ai jamais vue auparavant –l'ampleur des bombardements, les contraintes liées à la fourniture d'une aide médicale humanitaire en raison des attaques aveugles et du manque de respect pour le personnel et les structures de santé. 

L'intensité des attaques dans la bande de Gaza, étroite de seulement 12 kilomètres à son point le plus large, la rend particulièrement dangereuse.

Le manque de fournitures et d'équipements médicaux est également frappant et très difficile à gérer. La salle d'urgence de l'hôpital Nasser, qui débordait de patients hospitalisés, ne disposait que de deux postes de traumatologie pour les cas d'urgence et manquait de brancards, ce qui obligeait la plupart des patients à être traités à même le sol. Plusieurs machines de surveillance des patients ne fonctionnaient pas ou n'avaient pas les pièces nécessaires pour fonctionner correctement.

À l'hôpital de campagne indonésien de Rafah, malgré la présence d'un chirurgien dans notre équipe, nous n'avions pas assez de médicaments analgésiques pour anesthésier et prévenir les infections, comme la lidocaïne pour les changements de pansements et les procédures plus petites mais essentielles telles que l'ablation de tissus morts ou infectés.

Les hôpitaux sont débordés par les blessés, mais les personnes souffrant de problèmes de santé chroniques et d'autres pathologies ont toujours les mêmes besoins qu'avant la guerre. Il est trop dangereux pour la plupart d'entre eux de se rendre dans les établissements de santé et il est très difficile d'obtenir les médicaments dont ils ont besoin, comme l'insuline pour le diabète, les médicaments contre l'hypertension ou les anticoagulants pour ceux qui sont hospitalisés afin qu'ils ne développent pas de caillots sanguins potentiellement mortels.

 Lorsque les bombardements ont cessé pendant la brève pause humanitaire de novembre, les hôpitaux ont vu arriver de nombreux patients pour des crises cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et des urgences diabétiques. Ces problèmes de santé n'ont pas cessé soudainement lorsque les combats ont repris le 1er décembre. Aujourd'hui, ces patients sont probablement en train de mourir chez eux.

Camions transportant des fournitures pour Gaza à la frontière. Seule une fraction des camions qui passaient normalement chaque jour avant la guerre arrive à passer. Palestine 2023 © MSF

Les Palestiniens ne sont pas des numéros

À la fin de ma mission, alors que nous traversions le point de passage de Rafah pour retourner en Égypte, nous avons vu une mer de rangées et de rangées d'ambulances du Croissant-Rouge égyptien, empilées parce que presque aucun patient ne sortait. Nous avons également vu des centaines de camions transportant de l'aide humanitaire qui attendaient de pouvoir entrer. Le blocus de Gaza ne semblait s’être desserré depuis notre arrivée . Alors que nous laissons derrière nous le bruit des bombardements incessants, il est difficile de ne pas penser aux Palestiniens assiégés qui ne peuvent pas partir,  et à l'aide humanitaire dont ils ont si désespérément besoin, mais qui reste bloquée et juste hors de portée.

Le nombre de victimes civiles de cette guerre est stupéfiant. Mais les Palestiniens de Gaza ne sont pas des statistiques. 

Nous parlons d'une centaine de morts par jour, par exemple, mais il s'agit de mères, d'enfants, de pères et de professionnels, y compris le personnel local de MSF, qui continuent à travailler tout en souffrant de la même dévastation. Ils ne savent pas si leur famille va être tuée pendant qu'ils sont au travail ; et lorsqu'ils rentrent chez eux, nous, en tant que personnel international, ne savons pas si nous les verrons le lendemain.

Nous ne pouvons pas permettre que les Palestiniens qui souffrent actuellement à Gaza soient laissés dans l'anonymat. Ils ne peuvent être réduits à des chiffres.

* Le nom a été modifié pour protéger la vie privée.

** La plupart des membres du personnel de l'hôpital Nasser ont fui suite à l'ordre d'évacuation des zones environnantes donné par les forces israéliennes le 23 janvier, tandis que d'autres sont restés bloqués à l'intérieur en raison des violents combats qui ont eu lieu autour de l'établissement. En date du 7 février, MSF compte encore quelques membres du personnel à Nasser, bien que la situation autour de l'hôpital continue d'évoluer.

Nos actualités en lien