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République centrafricaine

L'expérience d'Edoardo Rosso, chirurgien en retour de mission terrain en République Centrafricaine

Photo de chirurgien opèrant un enfant de 10 ans ayant reçu plusieurs coups de couteau
Témoignages 
Edoardo Rosso témoigne suite à une mission terrain de 6 semaines qu'il a réalisée avec MSF en tant que chirurgien à Bangui en RCA.

    Comme après chaque retour de mission, l'équipe de MSF Luxembourg organise un moment d'échange autour d'un repas : le Lunch&Chat.

    Lors de notre dernier Lunch&Chat, c'est Edoardo Rosso qui est venu nous faire part de son expérience à Bangui en République Centrafricaine, et les membres de l'équipe ont pu lui poser quelques questions.

    Dr. Edoardo Rosso

    Edoardo Rosso est médecin dans le service de Chirurgie Générale Viscérale du Centre Hospitalier du Luxembourg. Il est spécialisé dans les pathologies qui touchent au pancréas, au foie, à l'estomac ou encore au colon, anus et rectum.

    Il a participé à la rédaction d'un certain nombre de publications, dont : The Surgical Treatment of lung metastases. The prognostic factors and the indications for the surgical approach. (1999), ou encore Novel somatic mutations of the MET oncogene in human carcinoma metastases activating cell motility and invasion. (2002).

     

    Qu'est ce qui t'a donné envie de faire de l'humanitaire ?

    J'ai commencé la médecine pour faire de l'humanitaire. J'en ai fait beaucoup plus jeune, puis entre ma carrière et la famille ce n'était plus vraiment compatible. Mais je suis arrivé à une phase de ma vie où je peux à nouveau faire des choses. J'ai pour projet de faire une mission tous les deux ans environ.

    Peux-tu nous parler un peu du pays et de Bangui ?

    C'était ma première mission MSF, c'était donc à Bangui, la capitale de la République Centrafricaine. Je ne sais pas si vous connaissez Bangui, mais ça n'a pas l'air d'une capitale, ce qui reflète l'usure et l'état du pays.

    On me demande souvent si c'est un pays dangereux, je pense que c'est un pays qui est dangereux en général, mais en partant avec MSF je l'ai moins ressenti. Cependant, quand on voit le type de patients à l'hôpital, on a la certitude qu'il y a un danger réel, de la criminalité, des attaques armées... Ce n'est pas un pays dans lequel on va faire du tourisme.

    Quel est le contexte au niveau de l'hôpital ?

    C'est un hôpital qui est là depuis très longtemps, même si on y traite des urgences il n'a pas été créé dans le cadre de missions d'urgence : tout y est bien structuré, il y a une organisation bien cadrée et prévue dans les année à venir. Il fonctionne assez bien.

    Tout ce qui est gynécologie, pédiatrie, etc, n'est pas pris en charge dans cet hôpital.

    Le bloc opératoire est utilisé en permanence, jour et nuit. La charge de travail est donc très importante. 3 chirurgiens coordonnés n'étaient pas de trop, ça fonctionne bien. Logistiquement parlant c'est très coopératif car les deux blocs opératoires sont l'un en face de l'autre donc on s'entraide et on se demande des conseils.

    Concernant les structures de l'hôpital, le coeur de l'hôpital sont les deux blocs opératoires, on retrouve à côté les urgences, le service de chirurgie viscérale, ainsi que le service de chirurgie orthopédique. Effectivement, l'orthopédie représente un certain nombre de cas, il y a tout d'abord la prise en charge aigüe, puis la réhabilitation et les prothèses. Mais ne sont pris en charge que les traumatismes ouverts. Les traumatisme fermés ne sont pas pris en charge car cela nécessite des techniques chirurgicales qui demandent une stérilisation du matériel et du bloc opératoire très stricte, et c'est quelque chose qu'on n'a pas à Bangui. On a plutôt des blocs opératoires de niveau 1, c'est-à-dire avec un niveau de normes hygiéniques très basiques, ce qui ne permet pas l'intervention sur des traumatismes fermés.

    Les moyens de l'hôpital voir même du pays ont une limite qu'on peut identifier, par exemple une plaie par balle superficielle abdominale sans complications sera prise en charge et soignée jusqu'à la sortie du patient. L'hôpital est tout à fait en capacité de s'en occuper.

    Malheureusement, s'il s'agit de cas plus graves qui nécessitent une réanimation, une hémofiltration ou une dialyse par exemple, ce sont des patients qui meurent. Car ni l'hôpital, ni la RCA, n'ont les moyens de leur fournir les soins nécessaires jusqu'à la fin du parcours médical. Evidemment, on essaie de les sauver, mais on ne peut pas aller au bout, nous n'en avons pas les moyens

    Quelle était ta journée type ?

    S'il n'y a pas d'urgence, vers 7h30, on a une réunion aux soins intensifs avec toute l'équipe, pas seulement les chirurgiens. On va voir les malades les plus graves et on en discute tous ensemble.

    Ensuite, on fait un point sur les choses importantes, les cas très difficiles, le comité éthique etc...

    Une fois  que c'est terminé, les chirurgiens se rendent au bloc opératoire. En général, ils opérent jusqu'à 17h avec 1h de pause prévue dans le planning. Mais dans la réalité ce n'est pas vraiment ça. Il arrive plusieurs fois par semaine qu'on opère jusqu'à très tard le soir voir la nuit car il y a des urgences qui ne peuvent pas attendre.

    Est-ce que ça a été difficile à vivre pour toi de voir des patients arriver et savoir que vous ne pourrez pas les sauver ?

    En tant qu'expatrié Européen c'est très difficile, mais pour les médecins et le personnel médical local et national c'est différent car ils ont conscience de la situation, ils vivent là bas, ils savent que certaines choses sont impossibles à soigner avec les moyens qu'ils ont. Ce n'est pas qu'ils ne souffrent pas, mais ils sont plus pragmatiques face aux différentes situations. Dans tous les cas, on fait avec.

    Tu nous dis que le bloc opératoire est de niveau 1, est-ce qu'il y a une volonté de MSF d'améliorer ces conditions ?

    Actuellement, il y a un expatrié qui devrait rester 6 mois afin de développer le projet qui permettra d'opérer les fractures fermées. Il y a donc dans l'idée de faire plus et d'améliorer les conditions. Mais il n'y a pas non plus d'utilité de mettre à disposition un bloc opératoire de niveau 4 puisqu'il n'y a pas de besoin aussi poussé. 

    As-tu des choses à ajouter ?

    Grâce à l'Institut Pasteur, on a découvert que beaucoup de patients avaient, sur leur corps et leur peau, des bactéries multi-résistantes (BMR) aux antibiotiques. De ce constat, beaucoup d'argent a été dépensé pour créer des zones d'isolement pour les personnes infectées ou susceptibles de l'être. Il faut également savoir faire la différence entre infection BMR et seulement porteur de BMR, moi qui suis chirurgien j'ai du mal à donner un bon diagnostic. Alors en RCA, où on n'a pas accès aux mêmes moyens, ni aux mêmes compétences, il n'est pas adapté de mettre en place ce genre de structure.

    Dans l'hôpital de Bangui il y a environ 7 médecins locaux, mais ce ne sont que des médecins généralistes, on ne trouve pas de chirurgien issu de la population locale par exemple . Sur 2 ou 3 ans, je pense qu'il est possible de former des médecins, au moins pour les interventions les plus basiques et récurrentes. Cela premettrait de donner une certaine fluidité au niveau des soins.

    En tout cas, je pense qu'il faut sauvegarder ce projet en Centrafrique à tout prix car c'est un pays où il y a un vrai besoin. Dans d'autres endroits, on trouve des cliniques privées ou d'autres infrastructures qui permettent aux populations locales de compenser mais en RCA il n'y a vraiment pas d'alternatives. Le gouvernement a investi 13 millions d'euros pour la santé en RCA et MSF environ 60 millions, ce qui prouve que Médecins Sans Frontières a un véritable impact sur place en ce qui concerne l'accès aux soins. C'est une nécessité.

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