Un homme, devant sa maison détruite dans le village de Bisober, en Éthiopie, le 9 décembre 2020.
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Dans le Tigré, après les violents combats, des populations coupées d’accès aux soins

Le vendredi 5 février 2021

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« Après plusieurs tentatives, nous sommes finalement entrés dans Mekele, la capitale de la région du Tigré, le 16 décembre, soit plus d'un mois après le début des violences.

La ville était calme. Il y avait de l'électricité, mais l'hôpital ne fonctionnait qu’à 30 à 40 % de ses capacités, avec très peu de médicaments. Et il n'y avait presque pas de patients, ce qui est toujours un très mauvais signe. Nous avons fait une évaluation rapide de l'hôpital, afin de pouvoir y transférer des patients des villes et villages situés plus au nord.

Trois jours plus tard, nous nous sommes rendus à Adigrat, la deuxième ville la plus peuplée du Tigré, située à 120 km de Mekele. La situation était très tendue et son hôpital était dans un état terrible. La plupart du personnel de santé était parti, il n'y avait pratiquement plus de médicaments et plus du tout de nourriture, d’eau ou d’argent. Certains patients qui avaient été admis avec des traumatismes souffraient de malnutrition.

Environ 80 à 90 % des centres de santé que nous avons visités entre Mekele et Axum n'étaient pas fonctionnels, soit en raison d'un manque de personnel, soit parce qu'ils avaient été pillés.

 


 

Albert Viñas, coordinateur d'urgence pour MSF dans le Tigré

Nous avons fourni à l'hôpital des médicaments et acheté de la nourriture en urgence sur les marchés qui étaient encore ouverts. Petit à petit, nous avons réhabilité l'hôpital afin qu'il soit opérationnel et qu'on puisse là aussi y transférer des patients des environs.

Le 27 décembre, soit 8 jours après, nous sommes entrés dans Adwa et Axum, deux villes situées à l'ouest d'Adigrat. La situation était identique : il n’y avait ni eau, ni électricité.

Tous les médicaments avaient été volés à l'hôpital général d'Adwa, le mobilier et l'équipement étaient cassés. Heureusement, une institution de la ville d’Adwa avait transformé sa clinique en hôpital d'urgence avec une petite salle d'opération. À Axum, l'hôpital universitaire de 200 lits n'avait pas été attaqué, mais il ne fonctionnait qu'à 10 % de sa capacité. 

Sur les routes où la situation sécuritaire restait incertaine, nous avons transporté par camion de la nourriture, des médicaments et de l'oxygène vers ces hôpitaux. Nous avons commencé à soutenir les services médicaux les plus essentiels, tels que les blocs opératoires, les maternités et les salles d'urgence, et à transférer les cas critiques.

Centres de santé pillés

Au-delà des hôpitaux, environ 80 à 90 % des centres de santé que nous avons visités entre Mekele et Axum n'étaient pas fonctionnels, soit en raison d'un manque de personnel, soit parce qu'ils avaient été pillés.

J’ai vu des personnes faire 30 km à vélo pour nous amener des patients. Nous avons pu sauver la vie d’une femme qui présentait d’importantes complications liées à sa grossesse en la transportant d’urgence depuis un centre de santé jusqu’à Mekele. Une grande partie de la population souffre, et pour certains les conséquences sont fatales. 

L'hôpital d'Adigrat dessert plus d'un million de personnes et celui d'Axum plus de trois millions. Si ces hôpitaux ne fonctionnent pas correctement et ne sont pas accessibles, les gens meurent à la maison. Il n'y a pas eu de vaccination depuis près de trois mois, donc nous craignons qu'il y ait bientôt des épidémies.

Ces dernières semaines, nos équipes médicales mobiles ont commencé à visiter des zones en dehors des principales villes et nous rouvrons certains centres de santé.

Défis logistiques, réponse tardive

Au début, nous avons vu une population enfermée chez elle et vivant dans une grande peur. Les combats ont laissé des traces sur les bâtiments et les voitures notamment, marqués par des impacts de balles.

Dans de nombreux endroits, il n'y a toujours pas de téléphone ni de télécommunication. Beaucoup de gens nous ont donné des morceaux de papier avec des numéros de téléphone écrits dessus en nous demandant de transmettre des messages à leurs proches.

Quand nous sommes arrivés à Adigrat, nous avons vu des files de 500 personnes à côté d'un camion-citerne. La ligne téléphonique y a été restaurée il y a quelques jours à peine. La situation s'améliore peu à peu...

Néanmoins, nous sommes très préoccupés par ce qui peut se passer dans les zones rurales. Nombreuses sont celles où nous n’avons toujours pas pu nous rendre. L'accès reste encore très contraint soit à cause de l’insécurité, soit parce qu’il est difficile d’obtenir une autorisation. Mais nous savons par les communautés et les autorités locales que la situation dans ces endroits est très mauvaise.

L'effort des équipes MSF a été important à tous les niveaux. C’est un défi incroyable sans téléphone ni Internet. Au début, il n'y avait pas de vols pour Mekele et nous avons dû tout déplacer par la route depuis la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, située à environ 1 000 km.

Aujourd'hui, près de trois mois après le début du conflit, d'autres organisations commencent à arriver, petit à petit, dans certaines régions. Je suis frappé de constater à quel point il a été difficile - et cela continue de l’être - d’accéder à une population aussi touchée dans une région si densément peuplée. Compte tenu des moyens et de la capacité d'analyse dont disposent les organisations internationales et l'Onu, le fait que cela se produise est un échec du monde humanitaire. »

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