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Libye

L’Union européenne et donc, le Luxembourg, complices d’un système de détention criminel en Libye

Communiqués de presse 
Des représentants européens se félicitent de la baisse du nombre de départs de migrants de la Libye vers l’Europe et qu’il y ait moins de morts en Méditerranée ces dernières semaines, mais ils feraient mieux d’analyser aussi le prix que ces « migrants » payent pour ce résultat : ces êtres humains sont renvoyés par la force vivre dans des conditions inhumaines, ces personnes sont exposées à des niveaux alarmants de violence et d’exploitation dans les centres de détention en Libye.

    Les pays de l’Union européenne, qui visent à stopper le flux de réfugiés et de migrants, ont décidé récemment de maintenir coûte que coûte ces populations vulnérables en Libye. Il s’agit du dernier exemple d’une série d’initiatives inacceptables et inhumaines mises en place pour protéger les frontières européennes. La politique migratoire européenne se poursuit inexorablement quelles que soient ses conséquences dévastatrices sur les vies et la santé de milliers de réfugiés et de migrants bloqués aujourd’hui en Libye, où ils sont confrontés à d’horribles souffrances.

    Les gouvernements européens cherchent activement à mettre en œuvre des politiques de rétention des migrants en Libye. Ils ont décidé, fin juillet dernier, de soutenir le gouvernement libyen pour lui permettre d’empêcher les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile de traverser la Méditerranée pour trouver refuge et protection en Europe. En effet, l’Union européenne a débloqué 46 millions d’€ pour la formation des garde-côtes libyens qui ont reçu la mission d’intercepter les embarcations de migrants qui tentent de traverser la mer Méditerranée.

    La stratégie poursuivie par les gouvernements européens est claire : ils sont prêts à tout pour repousser les personnes et leurs souffrances loin des regards européens.

    «L’ «externalisation des frontières» de l’Europe n'est autre qu'un acte de sous-traitance : les pays européens qui ne veulent plus accueillir de réfugiés supplémentaires, mais qui sont contraints, en vertu des obligations et traités internationaux, de leur fournir l'asile et des soins, cherchent à contourner leurs responsabilités en payant la Libye pour le faire à leur place», déclare Paul Delaunois, directeur général de Médecins Sans Frontières Luxembourg. «La stratégie poursuivie par les gouvernements européens est claire : ils sont prêts à tout pour repousser les personnes et leurs souffrances loin des regards européens».

    Selon l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), les garde-côtes libyens ont intercepté en mer 10 592 réfugiés et migrants entre le 1er janvier et le 31 août de cette année. Toutes ces personnes ont été ramenées, contraintes et forcées, en Libye. Or, en Libye, Les réfugiés, les migrants et les demandeurs d'asile, y compris les femmes enceintes, sont exposés à des niveaux de violence et d'exploitation horribles : enlèvements contre rançon, travail forcé, violences sexuelles et prostitution forcée, captivité ou détention arbitraire, violences physiques et psychologiques et torture.

    Les Ministres européens continuent de dire que les conditions seront améliorées pour les personnes qui sont renvoyées en Libye, même s'ils savent que ce n'est pas possible.

    Les équipes de MSF travaillent depuis plus d’un an à Tripoli et ont été directement témoins des terribles conditions auxquelles sont soumises les personnes retenues dans les centres de détention. Si les contraintes sécuritaires le permettent et si les équipes ne sont pas en danger, elles visitent chaque semaine sept centres de détention, lesquels sont sous le contrôle du ministère de la Santé libyen à Tripoli. Depuis le début de ce projet, en juin 2016, MSF est  intervenue dans 16 centres de détention différents dans l’agglomération de Tripoli. À Misrata, à 200 km à l’est de Tripoli, MSF déploie aussi le même type d’activités et soigne les réfugiés et les migrants dans quatre centres de détention supplémentaires. Chaque mois, les équipes médicales MSF dispensent en moyenne 100 consultations.

    Par contre, d’autres prisons non officielles restent complètement inaccessibles. En effet, certains migrants sont retenus dans des locaux privés sécurisés par des groupes armés et des «maisons de transit», les lieux où les trafiquants accueillent les réfugiés avant leur transfert vers leur prochaine étape et il existe de très nombreux lieux de détention tels des fermes, des entrepôts, des maisons et des appartements gérés par des passeurs et des groupes armés, auxquels MSF n’a pas accès, puisque seuls les centres légaux peuvent être visités par les équipes MSF. Mais, de nombreux témoignages confirment que  la maltraitance et le rançonnement y sont généralisés.

    «J’ai visité de nombreux centres de détention officiels en septembre et je sais qu’ils ne représentent que la partie visible de l’Iceberg», explique Joanne Liu, Présidente internationale de Médecins Sans Frontières.

    Malgré les déclarations des gouvernements européens, dont le gouvernement luxembourgeois, selon lesquelles des améliorations doivent être apportées aux conditions inhumaines qui règnent dans ces centres et que l’accès doit être garanti pour les ONG et organisations internationales, aucune mesure n’a été prise à ce jour.

    Une réduction du nombre de personnes quittant les côtes libyennes ne signifie pas une réduction de la souffrance des migrants qui sont détenus en Libye.

    «Les Ministres européens continuent de dire que les conditions seront améliorées pour les personnes qui sont renvoyées en Libye, même s'ils savent que ce n'est pas possible», déplore Paul Delaunois. «Une réduction du nombre de personnes quittant les côtes libyennes ne signifie pas une réduction de la souffrance des migrants qui sont détenus en Libye».  Les gouvernements européens se contentent de prêcher qu’il faut améliorer les conditions de détention en fermant les yeux sur la complexité de la situation actuelle en Libye, au risque de légitimer et perpétuer un système dans lequel les personnes sont détenues arbitrairement et exposées aux maltraitances et à l’exploitation, sans aucun recours légal possible.

    «Les personnes emprisonnées en Libye, traitées comme des marchandises, sont devenues les otages des réseaux de trafiquants et ont besoin d’une échappatoire. Le profit sur la misère et la souffrance de ceux qui sont pris au piège doit s’arrêter maintenant !», poursuit Paul Delaunois.

    MSF appelle les gouvernements européens, et en particulier le gouvernement luxembourgeois, à cesser de cautionner l'interception et le retour forcé des migrants et des réfugiés en Libye et à agir rapidement pour mettre fin à ce système de détention arbitraire.

    Retrouvez le rapport
    À l'intérieur des centres de détention de migrants en Libye

     

    *Image principale : des femmes et des enfants au centre de détention de Sorman, à environ 60 km à l'ouest de Tripoli, en Libye. © Guillaume Binet/Myop